La première thérapie « ciblée » contre les cancers du sein métastasés

Sur les 80 000 femmes françaises que l'on estime actuellement atteintes d'un cancer du sein (36 000 nouveaux cas sont recensés chaque année), 30 000 sont victimes d'une forme métastatique. Parmi ces dernières, 30 % présentent une forme particulièrement grave, caractérisée par la surexpression tumorale significative d'un oncorécepteur membranaire, la protéine HER 2 (Human Epidermal growth factor Receptor 2).

Cette protéine est donc le récepteur d'un facteur de croissance cellulaire. Elle est découverte en quantité très importante à la surface de certaines cellules tumorales d'origine mammaire ; mais la surexpression du gène HER 2 n'est pas réservée aux cancers du sein. On constate aussi ce phénomène dans certaines tumeurs du pancréas, de la vessie, de la prostate, du colon, de l'estomac, et dans des cancers du poumon non à petites cellules.

HER 2, un oncorécepteur de mauvais pronostic

Au niveau mammaire au moins, « HER 2 se révèle être à la fois un paramètre pronostique de la maladie et un élément prédictif de la réaction au traitement, permettant d'orienter le choix thérapeutique » explique le Pr M. Namer.

Facteur de mauvais pronostic, car la surexpression de HER 2, elle-même conséquence d'une amplification génique, entraîne une accélération de la croissance de la tumeur. La survie sans maladie et la survie globale sont diminuées, tandis que les risques de récidive, de rechute et d'apparition de métastases viscérales sont accrus.

Facteur prédictif de la réponse au traitement, car la surexpression de cette oncoprotéine entraîne une augmentation de la résistance de la tumeur à l'hormonothérapie, ainsi qu'à certains cytotoxiques. De ce fait, chez ces femmes aux formes graves et évoluées, ayant déjà subi des traitements lourds, les solutions thérapeutiques sont d'autant plus limitées.

Un traitement ciblé sur les cellules tumorales HER 2 (3+)

L'existence de HER 2 a cependantpermis de mettre au point une thérapeutique ciblée sur cet oncogène, grâce à un anticorps monoclonal qui se lie sélectivement au domaine extra-cellulaire du récepteur HER 2. De nombreux travaux à partir d'anticorps monoclonaux murins ont permis de mettre en évidence le lien entre l'effet antiprolifératif de ces derniers et le niveau d'expression d'HER 2, puis d'élaborer un anticorps monoclonal humanisé à 95 %, le trastuzumab (Herceptin).

Celui-ci inhibe de façon spécifique la prolifération des cellules surexprimant HER 2 en ne s'attaquant qu'aux cellules tumorales exprimant ce récepteur.

La première condition à l'utilisation du trastuzumab est de déterminer le degré d'expression de HER 2 sur les cellules tumorales. Parmi les différentes techniques possibles, les plus utilisées sont l'immunohistochimie (IHC), qui met en évidence la surexpression de la protéine HER 2 (voir encadré) et l'hybridation par fluorescence in situ (FISH), qui mesure l'amplitude du gène HER 2.

Sur une population ciblée, c'est-à-dire composée de femmes présentant uncancer du sein métastatique HER 2(3+) à l'immunohistochimie, ou HER 2(2+) avec la technique FISH, « letrastuzumab permet un gainthérapeutique significatif. Il adémontré son bénéfice clinique entermes de taux de réponse, de prolongation de la durée de vie et de retard à la progression de la maladie » commente le Pr P. Viens.

Deux études pivots conduites en Europe et aux États-Unis, l'une avec le trastuzumab utilisé en monothérapie, l'autre en association avec une chimiothérapie, ont démontré l'intérêt de ce nouveau traitement.

  • Une première étude en monothérapie a regroupé 222 patientes (âge moyen 50 ans, entre 28 et 81 ans) qui avaient toutes déjà subi une chimiothérapie pour maladie métastatique (94 % des cas avec des anthracyclines, 67 % des cas avec des taxanes), en première ligne pour 32 % d'entre elles, en deuxième ligne pour 68 %. Plus d'un tiers de ces patientes présentaient au moins trois sites métastatiques. Pour ces femmes, le taux de réponse a été de 15 %, avec une durée médiane de survie de 16 mois ; un quart d'entre elles sont restées sans progression de leur maladie à 6 mois.
  • Dans une étude randomisée comparant l'association trastuzumab et paclitaxel au paclitaxel seul, l'association a obtenu des taux de réponse de 49 %, soit près d'une patiente sur deux, contre 18 % avec la chimiothérapie seule. La durée médiane de survie a été de 25 mois (18 mois avec la chimiothérapie seule) et la réponse au traitement s'est maintenue plus longtemps avec l'association, soit 7,1 mois contre 3 mois avec la chimiothérapie seule.

Un bon profil de tolérance

Le trastuzumab est ainsi un des rares médicaments à avoir démontré sa capacité à obtenir une prolongation de la survie des cancers métastatiques, dans la population ciblée des patientes HRE 2 (3+). Les cancérologues se réjouissent que les travaux concernant ce médicament aient démarré très tôt, ajoute le Pr J.-L. Misset, car il laisse espérer des résultats très intéressants pour l'avenir. 2 600 patientes devraient être incluses dans plusieurs essais en cours dans le monde, qui étudient pour la plupart une association à un taxane, selon divers schémas simultanés ou séquentiels.

Le mode d'action original du trastuzumab le différencie aussi des autres anticancéreux du pont de vue de la tolérance. Ainsi, il ne présente pas la toxicité habituelle de la chimiothérapie cytotoxique. Donc ni nausées, ni vomissements, ni alopécie, ni atteinte muqueuse. Le trastuzumab est totalement dépourvu de toxicité hématologique, hépatique ou rénale. Son utilisation en association est donc particulièrement aisée, sauf avec la classe des anthracyclines. Il existe en effet un risque d'insuffisance cardiaque important en cas d'association anthracycline-trastuzumab (28 % d'insuffisances cardiaques cliniques ont été retrouvées au cours d'une étude randomisée, conduisant à éviter cette combinaison). Dans tous les cas, la prudence est recommandée avec le trastuzumab chez une patiente ayant un antécédent d'insuffisance cardiaque (pratiquer un ECG et un échocardiogramme avant le traitement, puis tous les trois mois en cours de traitement).

Enfin, des défaillances respiratoires ont pu être observées chez des femmes présentant avant le traitement une insuffisance respiratoire avec dyspnée de repos. Le trastuzumab est donc contre-indiqué chez ces dernières.

Les autres effets secondaires propres au trastuzumab sont pour la plupart liés au fait que l'on perfuse une protéine. Des symptômes modérés liés à la perfusion (fièvre, frissons) sont retrouvés chez 40 % des patientes, uniquement au cours de la première perfusion. Il n'y a pas de réaction à caractère immunogène, puisque le trastuzumab est un anticorps humanisé à 95 %.

D'autres cibles potentielles à l'étude

Si, à l'heure actuelle, l'indication du trastuzumab, seul ou en combinaison avec le paclitaxel, est limitée aux cancers du sein métastatiques, de nombreux développements sont en cours.

  • Toujours dans le cancer du sein métastatique ou en rechute, la combinaison avec d'autres anticancéreux, tels que le docétaxel ou la navelbine est à l'étude.
  • Enfin, les autres tumeurs épithéliales qui surexpriment également le récepteur HER 2 sont des cibles potentielles pour le trastuzumab. Des travaux sont déjà lancés pour ce qui concerne les cancers du poumon et de la vessie.