La recherche dans l’œil du citoyen
« Ce ne sont pas les résultats de la science qui m’inquiètent, c’est leur application », dit un participant bulgare lors de l’enquête qualitative menée par la société et institut d’études Optem pour la DG Recherche Pour la plupart des groupes interviewés, comme dans de très nombreuses enquêtes sur le sujet, la science est comme la langue d’Esope.
« La science est un outil puissant qui peut être bénéfique ou catastrophique », résume un Grec. La recherche « positive » est perçue à travers les avancées réalisées dans les domaines de la médecine ou de l’environnement. En négatif se dessinent, notamment, les risques de manipulation génétique ou les OGM, sans compter les implications économiques auxquelles la science n’échappe pas (« Le problème, ce n’est pas la recherche en soi, c’est l’esprit capitaliste qui ferait n’importe quoi pour faire du profit » - Lituanie).
Comment les Européens se forgent-ils ces convictions ? Leur principale source d’information est la télévision, un media offrant l’avantage de « ne pas demander d’efforts », mais qui n’en donne pas moins lieu à des opinions mitigées. Ici on émet des réserves sur la profondeur des informations dispensées (Belgique, Grèce), là on l’apprécie par comparaison aux grands journaux populaires (Royaume-Uni, Suède, Finlande). Dans les conclusions de différents groupes de réflexion, on peut noter l’expression de doutes sur la qualité du traitement des questions scientifiques par les medias de manière générale - ainsi en Allemagne ou au Royaume- ni (« on n’en parle que quand il y a des drames »), ou encore aux Pays-Bas (les informations diffusées sont « souvent démenties ensuite »).
Sept points sensibles
Après ce premier tour d’horizon global, les participants étaient invités à explorer sept sujets « chauds » au croisement de la science et de la société. Pour Daniel Debomy, directeur d’Optem, « c’est sans doute par rapport à l’énergie nucléaire - qui provoque le débat depuis de longues années - que l’on remarque une évolution dans les mentalités, notamment dans certains pays traditionnellement les plus réfractaires à l’atome. L’inquiétude demeure, mais les interviewés ont conscience de l’importance et de l’intérêt de cette source d’énergie propre pour l’atmosphère, dans un contexte de crise énergétique et de changement climatique ». « Nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter l’énergie nucléaire », entendon, en effet, en Autriche. « J’ai toujours été contre l’énergie nucléaire mais maintenant je commence à la voir comme une solution concrète à un problème concret », note un Danois. Ledit problème étant la question climatique, dont la réalité s’est imposée un peu partout, impliquant des changements de comportement et de mentalité.
En revanche, ce sont aujourd’hui les OGM qui soulèvent le plus de controverses, provoquant une méfiance assez partagée « d’altération du naturel » et de procédés « contre nature ». Même après avoir pris connaissance et discuté d’un document recadrant les avantages potentiels et le contrôle des risques pris à l’égard des OGM, nombre de participants demeurent dubitatifs et plaident pour le principe de précaution dans un domaine qui leur semble nécessiter encore bien des recherches.
Plus de recherche, s.v.p
Qu’en est-il, justement, de la recherche ? Dans de nombreux pays (même dans les « grands », comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni), une majorité d’interviewés estiment les efforts nationaux insuffisants. Cette impression s’accompagne souvent d’un sentiment d’injustice et de gâchis à l’égard des scientifiques eux-mêmes. « Nous avons d’excellents cerveaux, mais pas de budget » Italie). « L’exode de la matière grise se poursuit et nos chercheurs connaissent le succès dans d’autres pays » (Lituanie). La maigreur des moyens, le manque de volonté politique, la faible attractivité des métiers de la recherche sont pointés un peu partout.
Et l’Europe, que fait-elle ? Lorsqu’on pose des questions sur la politique de recherche de l’Union, celle-ci est singulièrement méconnue. On cite des géants comme le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) ou l’ESA (Agence spatiale européenne), on estime parfois « qu’il y a des milliers de projets mais on ne sait pas lesquels » (Belgique), on est dans le brouillard. L’enquête se double ici d’un exercice d’information. Les discussions des groupes sont basées sur différents documents de communication de la Commission dans le domaine de la recherche. Selon les enquêteurs, lorsque le débat s’enclenche, « un consensus très majoritaire est favorable à l’essor d’une action européenne en matière de recherche scientifique, et en approuve le renforcement ». L’Europe est perçue comme importante pour rassembler des moyens, permettre le développement de projets « lourds », favoriser les échanges d’idées, limiter la fuite des cerveaux. « L’avenir de l’U.E. et de l’Europe peut être en jeu si notre recherche et notre développement technologique sont à la traîne - la création d’emplois et le système de protection sociale ont besoin d’une Union en première division » (Suède).
Faire connaître l’Europe
En guise de dernier acte, les participants furent invités à suggérer des pistes, intéressantes à leurs yeux, pour mieux faire connaître la politique de recherche menée par I’U.E. Les suggestions concernaient en majorité les médias traditionnels, télévision en tête (séquences incluses dans les journaux télévisés ou dans des émissions thématiques, magazines, reportages sur le sujet, conception d’émissions spécifiquement consacrées à la recherche communautaire, voire une chaîne dédiée à cette thématique). Internet, souvent considéré comme l’apaage des plus jeunes, ne fut proposé que dans un tiers des groupes, particulièrement par des Français, des Néerlandais et des Slovaques. De manière générale, cet outil est considéré comme offrant potentiellement une grande richesse d’information, si l’on possède une information préalable. « Internet est un bon outil pour répondre à des questions, mais il faut d’abord savoir quelles questions poser » Italie). Quant a la production « papier » (dépliants, brochures, magazines), elle est loin d’être jugée obsolète mais c’est surtout son mode de distribution qui mériterait réflexion : « toutes boîtes », mise à disposition dans les moyens de transport ou les lieux publics, présentation dans les musées, « journées portes ouvertes » des laboratoires, etc.
C’est donc à l’Europe d’aller vers le public, là où il se trouve. En commençant peut-être par le commencement, c’est-à-dire l’école, souvent citée comme le lieu privilégié de l’information sur la science. Pourquoi ne pas imaginer la publication de documents pédagogiques, notamment en relation avec de possibles visites de centres des sciences ou de recherche ?
Quel que soit le public, les différents groupes estiment que les sujets traités devraient être le plus en rapport possible avec le vécu des citoyens (santé, médecine, environnement...) et être présentés de façon concrète, compréhensible et concise, en évitant le jargon scientifique et la langue de bois institutionnelle. « Le point principal est de donner l’information dans un langage clair, pour que ça puisse être intéressant pour une personne qui n’a rien à voir avec la science », résume un participant letton.