Les virus transmissibles par voie oro-fécale

Seuls certains virus possèdent une enveloppe (ou peplos). Cette enveloppe est constituée d’une couche externe de phospholipides entourant la capside. Sa présence fragilise paradoxalement les virus enveloppés aux agents extérieurs comme la chaleur ou les antiseptiques. Dans ces conditions, l’infection ne peut se développer que par contact direct et nous avons vu les transmissions par le sang ou par voie sexuelle.

À l’inverse, les virus nus, sont très résistants et peuvent rester longtemps en dehors de l’hôte. Dans ce cas la transmission par voie orale à partir d’aliments contaminés est possible. Cette contamination est le plus souvent d’origine fécale. Nous trouvons dans ce cas les virus des hépatites A et E et les virus intestinaux.

Le virus de l’hépatite A (VHA) et le virus de l’hépatite E (VHE) sont capables de provoquer des épidémies et responsables de la majorité des hépatites aiguës. Le VHA prédomine dans les pays industrialisés et le VHE prolifère dans les pays en voie de développement.

Dès 1940, on faisait la différence entre les hépatites alors que les virus n’étaient pas décrits. En 1973, le VHA a été observé pour la première fois dans les selles de malades atteints de « jaunisse ». En 1979,

Provost et Hilleman réussissaient à propager le virus in vitro sur des cellules de rein de singe fœtal, ce qui a permis la préparation de vaccins dont le premier (Havrix) a été mis sur le marché il y a une dizaine d’années. Le VHE a été identifié en 1990.

Devant la gravité potentielle des autres hépatites, la « jaunisse » à VHA ou à VHE est passée au second rang de nos préoccupations. Pourtant, l’épidémiologie de ces maladies sans doute trop rapidement banalisées a profondément changé. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’amélioration constante du niveau de vie et des conditions d’hygiène dans les pays industrialisés a fait reculer de façon très significative ce type d’hépatite. Actuellement, le risque de contracter la maladie pendant le jeune âge est très faible. L’hépatite A s’est raréfiée et est devenue le plus souvent une maladie de l’adulte. Mais sa gravité est proportionnelle à l’âge.

Pour la majorité de la population, les occasions de rencontrer le virus sont rares en France. C’est lors d’un voyage dans un pays en voie de développement que le risque est le plus grand de contracter la maladie. L’hépatite A devient ainsi une pathologie du voyageur, qui réclame une prophylaxie. En dehors des voyages, certaines activités (appartenance au personnel hospitalier, vie en collectivité) favorisent la contamination.

Les infections humaines à entérovirus (EV) sont fréquentes. Le genre EV comprend plus de soixante virus différents (coxsackie, échovirus, poliovirus, virus des gastro-entérites épidémiques... ).

Le virus de la poliomyélite est souvent pris comme un modèle d’étude et a permis de grandes avancées en virologie. La vaccination obligatoire a permis d’éradiquer les cas d’infection par le virus sauvage.

Les autres entérovirus sont loin d’être aussi bien connus. Les infections, de symptomatologie variée, sont pour la plupart tout à fait bénignes. Cependant, les nouveau-nés et même les fœtus sont des sujets à risque d’atteinte sévère voire mortelle.

Des viroses favorisées par les mauvaises conditions d’hygiène

Les virus à transmission oro-fécale ont un point commun : ils sont dépourvus d’enveloppe, donc résistants aux modifications du milieu extérieur. Il n’existe pas aujourd’hui de traitement curatif contre ces virus, d’où l’importance de la prévention par les vaccinations.

Comme il s’agit, dans presque tous les cas, d’infections apportées par l’alimentation souillée par des matières fécales, l’autre voie de prévention passe par des mesures d’hygiène strictes concernant non seulement l’alimentation, mais aussi la propreté corporelle. De ce fait, le risque de contamination est beaucoup plus faible dans les pays développés, où ces infections sont maintenant considérées comme des maladies des voyageurs.

Les virus des hépatites A et E (VHA et VHE)

Morphologie : des particules sphériques à ARN

  • Le VHA est un picomavirus de forme sphérique, non enveloppé, constitué d’un seul brin d’ARN et de protéines de capside qui lui confèrent une grande hétérogénéité. Seuls les génotypes I à IV sont transmissibles à l’homme, alors que les génotypes d’origine simienne ne sont pas transmissibles à l’homme.
  • Le VHE est également sphérique et constitué d’un brin d’ARN. Mais son organisation génomique est différente et le rapproche de la famille des calicivirus.

Épidémiologie : des frontières parallèles à celles du développement économique

Pour l’hépatite A, on distingue dans le monde trois types de régions en fonction des conditions socio-économiques.

  • Une zone de forte endémicité, caractérisée par le manque d’hygiène et l’absence de traitement des eaux. Les infections sont inapparentes car très précoces. L’immunité des populations est solide et durable. Seules les populations importées développent une infection cliniquement manifeste. Dans cette zone, nous trouvons l’Afrique, la majeure partie du continent asiatique (continent indien, états asiatiques de l’ex URSS), l’Amérique Centrale et le Moyen-Orient.
  • Une zone où l’endémicité est moyenne grâce aux meilleures conditions d’hygiène : Amérique du Sud, Mexique, Chine et pourtour méditerranéen. Le premier contact avec le virus est tardif, d’où une fréquence plus élevée de troubles cliniques et un risque d’épidémie.
  • Une zone de faible endémicité : Amérique du Nord, Europe, Japon, Australie, où le virus semble éradiqué mais dont les habitants sont très vulnérables lorsqu’ils voyagent dans les autres zones.

La séroprévalence des anticorps antiVHA dans la population européenne diminue considérablement avec le temps ; elle est très faible notamment chez les jeunes de moins de vingt ans.

Aujourd’hui, moins de 10 % d’entre eux ont des anticorps, contre 50 % il y a 25 ans.

Pour l’hépatite E, le risque d’épidémie est le plus important dans les pays où l’hygiène collective est insuffisante. L’Européen moyen est totalement réceptif au VHE.

Pathologie : tropisme hépatique et réaction immunitaire excessive

Le VHA comme le VHE pénètrent dans l’organisme par voie digestive et gagnent le foie. Les virions pénètrent par endocytose à l’intérieur du cytoplasme des hépatocytes, où ils forment des vacuoles puis des lysosomes, où a lieu la décapsidation.

L’ARN viral se fixe sur les ribosomes cellulaires, qui permettent sa traduction en polyprotéines. Ces dernières sont hydrolysées sous l’action d’une protéase, alors qu’une ARN-polymérase permet la formation de nouveaux brins d’ARN viraux. Le nombre de virions croît fortement en quelques jours puis reste ensuite en plateau.

Le virus n’a pas d’effet pathogène direct sur l’hépatocyte. La cytolyse hépatique traduit en fait une réponse immunitaire toxique de l’hôte, médiée par les lymphocytes CD8. Dans ces conditions, les IgM apparaissent avant la phase ictérique puis disparaissent en quelques mois (plus rapidement pour le VHE) pour laisser place aux IgG.

Clinique : la gravité est fonction de l’âge et le diagnostic est trop tardif

Après une incubation de 30 jours en moyenne, au cours de laquelle des virions répliqués sont rejetés par la bile et éliminés dans les fèces (individu déjà contagieux), survient la phase d’état, avec une élévation des ALAT (alanine aminotransférase) qui dure deux à trois L’intensité de la semaines. symptomatologie - ictère et altération de l’état général - varie avec l’âge. La maladie passe inaperçue chez l’enfant de moins de quatre ans alors qu’elle est sévère chez le sujet de plus de quarante ans (taux de létalité de 1 %).

C’est l’ictère qui fait penser à l’hépatite A (ou E), avec les questions d’usage concernant le séjour dans une zone endémique dans les deux mois précédents ou le risque socioprofessionnel. Mais lorsque l’ictère se déclare, les virus ne sont plus délectables dans les matières fécales. La recherche d’IgM lors de la période d’infection, puis la recherche d’IgG pour connaître les sujets qui ont été en contact avec les virus, est donc nécessaire. Elle est plus sensible pour le VHA que pour le VHE.

Traitement : le vaccin

Le traitement est uniquement prophylactique.

Le vaccin anti-hépatite (Avaxim, Havrix, Vaqta, ou Twinrix, forme associée à un vaccin anti-VHB) est une forme inactivée d’une souche de virus, provoquant une immunisation active. Il est logique avant la vaccination de rechercher les anticorps signalant une exposition préalable au virus. Comme il s’agit d’un virus inactivé, il peut être administré en même temps que tout autre vaccin inactivé (mais pas dans la même seringue).

Cette vaccination est recommandée chez les sujets professionnellement exposés (médecins, dentistes, personnels de soins mais aussi militaires et employés des crèches, du secteur alimentaire et du traitement des eaux usées). Bien sûr, cette vaccination est aussi une protection efficace pour les voyageurs non immunisés (les jeunes surtout) en pays d’endémie. On peut même s’étonner qu’elle ne soit pas obligatoire avant certains voyages, ou tout au moins que son intérêt ne soit pas plus largement signalé par les tour-opérateurs.

Par ailleurs, l’administration de gammaglobulines polyvalentes est très efficace (contre le VHA, mais pas contre le VHE car les anticorps anti-VHE ne sont pas présents dans les gammaglobulines polyvalentes dans nos pays). Mais il faut traiter dans les 15 jours après l’exposition au virus, c’est-à-dire avant la phase ictérique.

Les entérovirus (EV)

Morphologie : une grande variété antigénique

Les EV, virus à ARN, sont dépourvus d’enveloppe. La capside virale est composée de protéines antigéniques variées. Celles-ci provoquent l’apparition d’anticorps spécifiques lors d’une exposition, d’où une grande diversité sérotypique.

Épidémiologie : partout, surtout quand il fait chaud

Les EV sont présents dans tous les pays et les infections peuvent survenir toute l’année. Néanmoins, dans les pays tempérés comme la France, une augmentation nette des infections est observée au cours de l’été et des périodes chaudes.

En raison du caractère généralement bénin des infections, il y a peu d’études épidémiologiques. On estime cependant que plus d’un million d’entéroviroses surviennent en France chaque année.

En période estivale, plus de 10 % des nourrissons sont en contact avec un EV sans pour autant présenter de symptômes notables, et au cours de l’enfance, tous les individus entrent en contact avec un ou plusieurs virus. Moins bonne est l’hygiène de vie, plus les contaminations infantiles sont nombreuses... et meilleure est, par la suite, la protection immunitaire.

Pathologie : les muqueuses digestives pour cible

Après contamination par voie orale, les EV se fixent à la surface des cellules cibles, celles des muqueuses digestives, sur des récepteurs spécifiques qui n’ont pas encore tous été isolés. Une même structure réceptrice (ICAM ou intégrines) peut être utilisée par plusieurs virus.

L’interaction virus-récepteur induit une modification de la structure de la capside permettant l’internalisation du virion puis la libération de son ARN.

La réplication du génome viral est assurée par une ARN-polymérase. Un brin d’ARN négatif est synthétisé à partir du brin d’ARN positif qui a infecté la cellule. Puis cet ARN négatif sert de matrice pour la production de multiples brins positifs. Ces ARN viraux s’assemblent avec les protéines de structure transcrites au niveau des ribosomes.

La libération des virions se fait par lyse de la cellule hôte. Une seule cellule peut produire plusieurs milliers de particules virales.

Clinique : attention chez la femme enceinte..

Après la contamination, les EV vont se multiplier au niveau des muqueuses oropharyngées et intestinales avec élimination par voie fécale de nombreux virus. La contagiosité, importante, dure plusieurs semaines.

En général, les symptômes des entéroviroses se résument à des troubles digestifs banals (nausées, vomissements, diarrhées), en règle très bénins chez l’enfant, parfois plus sérieux chez l’adulte.

Cependant, après le stade intestinal, les virus peuvent atteindre les ganglions lymphatiques et le compartiment sanguin puis, selon leur tropisme, entraîner méningite, myocardite, péricardite... C’est le cas des coxsackies et des échovirus. Tout dépend en fait de l’efficacité de la réponse immunitaire de l’hôte. C’est pourquoi ces virus sont dangereux chez les immunodéprimés.

Mais il faut aussi redouter les infections survenant durant la grossesse. Pour la future mère, les symptômes sont banals et généralement bénins. Mais pour l’embryon ou le fœtus, ces infections à entérovirus peuvent être graves, et responsables d’un grand nombre d’avortements (plus de 90 % des avortements spontanés, selon des études menées dans les pays nordiques). Quant aux malformations congénitales, les études impliquant ou non les entérovirus sont contradictoires.

En cas d’infection en fin de grossesse, le risque de contamination néo-natale est important, alors que les défenses immunologiques du nouveau-né ne sont pas encore fonctionnelles. La maladie néonatale débute par des signes non spécifiques (fièvre, irritabilité, encombrement des voies aériennes supérieures et rash cutané). Dans quelques cas, apparaissent d’autres symptômes plus graves voire mortels : atteinte myocardique (tachycardie, détresse respiratoire, cyanose puis collapsus), atteinte hépatique (cytolyse massive du foie) et exceptionnellement encéphalopathie (convulsions, paralysies).

Par ailleurs, selon certains auteurs, les infections à EV favoriseraient la survenue d’un diabète insulinodépendant. En raison d’une homologie entre les protéines virales et la protéine GAD (glutamate décarboxylase) du pancréas, les anticorps contre les entérovirus accéléreraient la dégénérescence des îlots de Langerhans chez les sujets génétiquement prédisposés.

Traitement : symptomatique

Grâce à la vaccination obligatoire, la poliomyélite n’existe plus dans nos contrées, et son éradication mondiale parait proche.

Malheureusement, il n’existe pas de vaccin contre les autres EV, et aucun traitement curatif n’est actuellement sur le marché. Chez la femme enceinte, il est bon de déconseiller les baignades en fin de grossesse (et, mais ce n’est pas particulier à la prévention des entéroviroses, de conseiller d’éviter 1e contact avec les personnes fébriles).

Pour un nouveau-né infecté, il est toujours possible d’administrer des immunoglobulines. Il sera surtout important de prévenir la contamination des autres nouveau-nés dans la maternité ou le milieu hospitalier.