Rein et équilibre acido-basique

L'anhydrase carbonique (AC) est une enzyme qui joue un rôle essentiel dans l'organisme partout où s'établit un gradient d'ions H+ (donc une différence de pH), ainsi dans le tabule rénal, la muqueuse intestinale, l'intestin grêle, les glande salivaires. etc. L'AC joue aussi un rôle important lors du transport du CO2 dans les érythrocytes. L'AC catalyse la réaction H2O + CO2 → H+ +HCO3-

La réaction peut être catalysée selon deux processus :
a) H2O+ CO2 → H2CO → H+ + HCO3-;
b) H2O → H+ OH-;
OH- + CO2 → HCO3-

Habituellement, l'acide carbonique (H2CO3) est considéré comme un composé intermédiaire dans cette réaction. Cependant, on a aussi récemment proposé que l'ion OH- au lieu de H2O se lie à l'enzyme.

Dans le tubule rénal et la paroi gastrique, les ions H+ sont transportés vers la lumière, alors que les ions HCO3- quittent la cellule du côté basal (sang). Inversement, le HCO3- apparaît dans la lumière des glandes salivaires, tandis que les ions H+ passent dans le sang.

La libération d'ions H+ dans la lumière tubulaire rénale s'effectue par échange contre des ions Na+ (transporteur commun). La majeure partie des ions H+ est sécrétée dans le tubule proximal, où, malgré l'action tampon des ions HCO3-, phosphate etc., le pH chute de 7.4 a approximativement 6.7. Au niveau du tube collecteur on a mis en évidence une pompe à H+ ATP-dépendante. A ce niveau, le pH luminal peut chuter à environ 4,5. La libération d'ions H+ dans la lumière tubulaire a deux fonctions essentielles :

  1. l'excrétion des acides (sous forme d'acides titrables, de NH4+ et sous forme libre ; cf. ci-dessous) ;
  2. la réabsorption du bicarbonate filtré (HCO3-).

Excrétion urinaire des acides

Dans le cas d'une alimentation moyenne contenant environ 70-100 g de protéines par jour, la production d'ions H+ dans l'organisme est de 190 mmol/jour. Les principaux acides (appelés fixes) sont HCl (provenant du métabolisme de l'arginine, de la lysine et de l'histidine), H2SO4 (provenant de la méthionine et de la cystine), H3PO4 (provenant du métabolisme des phospholipides) et l'acide lactique. Environ 130 mmol/jour sont utilisés pour le métabolisme des acides aminés anioniques (glutamate et aspartate ; à partir des protéines) et des autres anions organiques (lactate, etc.) ; le résultat global est une production nette d'ions H+ d'environ 60 (40-80) mmol/jour. Les ions H+ de ces acides sont certes tamponnés lorsqu'ils sont libérés, mais ils doivent malgré tout être excrétés (pour la régénération du tampon).

Le pH urinaire peut tomber jusqu'à 4 dans les cas extrêmes, ce qui signifie que la concentration de l'urine en ions H+ est de 0,1 mmol/l au maximum. Donc, pour un volume urinaire de 1,5 l/jour, seulement 0,15 mmol/l, soit moins de 1% des ions H+ produits sous forme libre, est excrété.

Cependant, l'établissement d'un pH urinaire bas, spécialement au niveau du tube collecteur (pompe à H+, voir ci-dessus), est nécessaire pour tamponner le phosphate, etc., et pour que les ions H+ se fixent au NH3 sécrété afin de former les ions NH4+.

Une grande quantité d'acides appelés fixes, 10-30 mmol/jour, est excrétée, sous forme d'acidité dite titrable (80% de phosphate, 20 % d'urate, de citrate, etc.).

Cette acidité excrétée est dite titrable car la quantité de l'acide peut être déterminée par retitration de l'urine avec du NaOH jusqu'au pH plasmatique (7,4). Le phosphate est présent dans le sang (pH 7,4) à 80% sous forme d'HPO42-, dans I'urine (acide) presque exclusivement sous forme d'H 2PO4, ce qui signifie que les ions H+ sécrétés ont été tamponnés par du HP04. Environ 150-250 mmol de phosphate sont filtrées par jour et 80 à 95% de cette quantité sont réabsorbés ; le reste est excrété. Sur cette quantité, 80% ont capté une quantité équimolaire d'ions H+ lors du passage tubulaire. Il est à noter qu'un ion Na+ a pu être réabsorbé pour chaque ion H+ sécrété et excrété. Lors d'une acidose, l'excrétion de phosphate augmente. L'augmentation de l'excrétion d'ion H+ qui en résulte précède une augmentation de la formation de NH4+; cette augmentation est provoquée principalement par la mobilisation des phosphates d'origine osseuse consécutive à l'acidose.

Cela n'est pas le cas lors de l'excrétion d'ions H+ sous forme d'ions NH4+. Le métabolisme des acides aminés provoque constamment la formation d'ammoniac (NH3) dans les cellules tubulaires. Le NH3 n'est pas chargé et peut donc aisément diffuser dans la lumière tubulaire. Les ions H+ libérés à ce niveau forment, avec le NH3, les ions NH4+ qui ne peuvent plus guère rétrodiffuser. 30 à 50 mmol/jour d'ions H+ sont ainsi excrétées. Pour une alimentation normale en protéine, le métabolisme des acides aminés produit des ions HCO3- et NH4+ en quantité approximativement équimolaire (environ 700-1000 mmol/jour). La majorité de ces composés est utilisée (mécanisme énergie-dépendant) pour la formation d'urée dans le foie :
2HCO3- + 2NH4+ → H2N-C-NHH2 + CO2 +3H2O.

Ainsi, chaque ion NH4+ excrété par le rein épargne un ion HCO3- hépatique qui peut tamponner un H+. Ce mécanisme est appelé « excrétion indirecte d'H+ ». Cependant, le foie exporte seulement 15 à 30% du NH4+ vers le rein (sous forme inchangée). La majorité du NH4+ est incorporée, au niveau des hépatocytes, à la glutamine (= Glu-NH2), pour former des ions glutamate qui sont temporairement privés de leur H+ pour les besoins du métabolisme (voir ci-dessus).

Le rôle du foie dans l'homéostasie du pH par régulation du transfert de la glutamine vers le rein a même été évoqué.

Dans le rein, la glutamine peut être scindée par des glutaminases rénales en NH4+ et glutamate (= glu-). Glu-peut être à nouveau métabolisé en 2-oxoglutarate et en un second NH4+ par une glutamate déshydrogénase rénale (ou peut être recyclé au niveau hépatique pour une nouvelle synthèse de glutamine). Lorsqu'un métabolite bivalent de la glutamine, le 2-oxoglutarate est finalement converti en un composé non ionisé, comme le glucose ou le CO2 (ce qui se passe habituellement dans le rein), deux ions H+ sont alors neutralisés, et par là même «indirectement excrétés », sous forme de NH4+.

Le NH4+ est dissocié en NH3 + H+ dans les cellules du tubule proximal et sécrété dans la lumière par diffusion non ionique (NH3) et par sécrétion de H+ (en échange avec Na+, ou pompé par l'H+-ATPase) dans la lumière tubulaire où le NH4+ est à nouveau formé.

Une partie de ce NH4+ est apparemment résorbée (sous sa forme ionisée !) par utilisation des mécanismes de transport du K+ au niveau de la partie épaisse de la branche ascendante. Par diffusion non ionique (par ex. sous forme de NH3), il réintègre l'espace urinaire au niveau du tube collecteur, où, grâce au pH très bas de ce segment, il est définitivement entraîné avec les urines sous forme de NH4+. L'excrétion de NH4+ est normalement de l'ordre de 25-50 mmol/jour.

Dans l'acidose métabolique chronique, l'excrétion de NH4+ augmente. La formation de glutamine hépatique augmente parallèlement à la formation d'urée et est accompagnée d'une augmentation du flux par le moyen de la glutaminase rénale. En conséquence, l'excrétion de NH4+ peut atteindre 3 fois la normale. Il faut 1-2 jours pour que cette adaptation soit totale. Les mécanismes de régulation mis en jeu ne sont pas complètement élucidés.

Réabsorption du bicarbonate (HCO3-)

Environ 4300 mmol/jour de HCO3- sont filtrées, soit approximativement 35 fois la quantité contenue dans le sang. Il faut donc que la réabsorption du HCO3- soit extrêmement efficace, sinon l'équilibre acido-basique dans l'organisme serait rompu. Les ions H+ libérés dans le tubule réagissent avec du HCO3- pour donner du CO2 et du H2O, une AC luminale (dans la bordure en brosse) jouant aussi éventuellement un rôle. Le CO2 peut aisément diffuser dans la cellule ; là, les ions H+ et HCO3-, se forment à nouveau. Les ions H+ sont alors libérés, tandis que le HCO3-passe dans le sang. Le HCO3- est ainsi transporté, sous forme de CO2 à travers la membrane cellulaire luminale. 85-90 % des ions HCO3- filtrés sont réabsorbés dans le tube proximal, le reste principalement dans le tube collecteur. Le cas échéant, le HCO3- peut aussi passer tel quel (donc sans être transformé en CO2) entre les cellules de la paroi tubulaire.

Une augmentation (ou une diminution) de la PcO2 dans le plasma conduit à une augmentation (ou à une baisse) de la sécrétion d'ions H+ et donc aussi de la réabsorption du HCO3- ce qui revêt une grande importance dans la compensation des troubles respiratoires.