SENIORS Une cible de 25 milliards d’euros

Saviez-vous que ce sont les 65-74 ans qui dépensent le plus en alimentaire ? Ils y consacrent en moyenne 3 243 € par personne et par an, contre 2 717 € pour les 35-49 ans. Plus largement, selon TNS-Secodip, ce sont les seniors qui achètent 43 % des produits de grande consommation soit 25 Milliards d’euros. Il s’agit donc d’une cible très intéressante, au sein de laquelle il convient de distinguer plusieurs catégories. En effet, il n’y a pas beaucoup de points communs en termes de mode de vie et de consommation entre un senior de 50 ans et son père de 85 ans. Et pourtant, les planètes marketing semblent graviter éternellement autour des juniors, de l’enfant-roi à l’adolescent passeur de tendances. « Il faudrait déjà intégrer des seniors dans les équipes produits, dont la moyenne d’âge dépasse rarement 30 ans », s’exclame Patrick Jaegy, vice-président de Solving International. Reste à savoir si la recette suffirait. Même à 50 ans, il s’avère plus ludique d’imaginer des produits nomades à grignoter en pratiquant des sports de glisse, plutôt que des systèmes d’ouverture facile pour pallier l’arthrose du poignet, ou de nouvelles saveurs qui intégreraient les importantes modifications du goût liées au grand âge.

Ils n’ont pas l’âge de leurs artères

Chrystelle Chapteuil, responsable des laboratoires Juvamine, confirme : « L’âge est encore un sujet tabou dans notre société. Dans nos enquêtes consommateur, il est difficile de leur faire parler de leur âge ; on biaise en posant des questions type ? Et dans dix ans, vous voyez...?

De même que l’on parle plutôt de bouffées de chaleur que de ménopause... » Pas question, de toute façon, de vendre des produits spécifiques avec une communication que ne mettrait en scène que des plus de 60 ans. En effet, plus on vieillit, plus le décalage entre l’âge réel et l’âge subjectif s’accroît. Selon l’étude Interdeco Expert-Notre temps, l’écart atteint onze ans chez les 35-49 ans, mais vingt et un ans chez les plus de 65 ans. Une réalité qui fait bien les choses pour le marketing et la communication, puisque le consommateur de 44 ans se comporte en jeune trentenaire et que celui de 65 ans a l’impression de vivre comme celui de 44 ans. Les attentes de ces deux cibles majeures se rejoignent donc, au moins en apparence, car les préoccupations santé s’amplifient avec l’âge. Dès 45-50 ans, on surveille son taux de cholestérol et de sucre pour limiter les risques cardiovasculaires mais aussi pour garder la ligne. « 83 % des plus de 50 ans déclarent éviter les matières grasses, contre 61 % des 25-49 ans, et 70 % privilégient les fruits (contre 66 %) », souligne Pascale Hébel, directrice du département consommation du Crédoc. « Le premier nutriment privilégié par les seniors est le calcium », ajoutet-elle. La préoccupation liée à une alimentation équilibrée « atteint à 60 ans son paroxysme. Les seniors voient leurs parents ou beaux-parents vieillir, devenir malades ; ils prennent alors conscience de l’importance de la santé et sont d’une vigilance extrême dans leur alimentation », explique Jean-Paul Treguer, de Senior Agency. Selon Joël Thivet, chef de produit sur les beurres allégés chez Elle & Vire, « les seniors surconsomment du beurre allégé ». Madeleine, 77 ans, qui vit seule à Maringues, dans le Puyde-Dôme, confirme : « J’ai du cholestérol. Ce n’est pas la peine d’avaler des médicaments si, après, on ne fait pas attention à ce qu’on mange ! Je cuisine à la margarine anticholestérol sur les conseils de mon médecin, mais ça ne vaut pas la cuisine au beurre ! » « Depuis des années, nous assistons à une déconsommation du café après 58-60 ans. À la moindre palpitation ou fatigue excessive, on freine. Pour lutter contre ce rétrécissement du marché, nous agissons en informant les médecins », reconnaît le syndicat national de l’industrie et du commerce du café. Selon l’édition 2004 de l’étude CCAF du Credoc, le goût et la saveur des aliments demeurent cependant la première préoccupation des plus de 50 ans devant une alimentation équilibrée. « Les seniors se révèlent très impliqués au plan gustatif comme au plan qualitatif, souligne Catherine Morin, responsable des études senior d’Interdeco Expert. 57 % d’entre eux déclarent acheter des produits label et IGP et 66 % du bio ». Si 20 % des ménages seniors comportent des enfants, pour une large majorité d’entre eux les courses se réduisent en volume, dégageant du budget pour acheter des produits plus onéreux.

La retraite, une période charnière

« L’arrivée en retraite est la deuxième période de la vie, avec celle de la mise en couple, où les achats se font conjointement. Les couples de seniors se rendent ensemble au marché, chez le boucher... Ils prennent le temps d’acheter des produits frais et de qualité », précise Jean-Paul Treguer. D’une manière générale, les courses occupent une place de choix dans l’ emploi du temps. Les plus jeunes restent des fervents adeptes de l’hypermarché, les autres préfèrent la proximité des supers. Mais 59 % des plus de 50 ans fréquentent le hard discount, soit 4 points de plus en deux ans. « Depuis plusieurs années, je fais mes courses chez Ed, Monoprix et Picard. Je vais aussi une à deux fois par semaine au marché », explique Odette, 70 ans, qui vit en couple à Vincennes.

Amis, familles, voyages

Les ménages retraités disposent aussi de plus de temps pour recevoir. « À ce moment de la vie, on déménage souvent pour aller en centre-ville ou on partage son temps entre résidence principale et secondaire...Tous ces changements obligent à une resocialisation. On fréquente de nouveaux amis. Du coup, on reçoit beaucoup pour l’apéritif ou des repas conviviaux. Par ailleurs, les seniors voyagent beaucoup. C’est l’occasion de créer des liens et de découvrir d’ autres cuisines », indique JeanPaul Treguer. Il est ainsi fort probable que, une fois à la retraite, la génération des soixante-huitards renouera avec les voyages lointains réalisés sac au dos dans leur jeunesse. Mais si la retraite constitue une période charnière, elle s’accompagne, comme toute rupture, de nouvelles habitudes de consommation. Et contrairement aux idées reçues, les seniors ne sont pas aussi fidèles aux marques que par le passé. Ils rattrapent les autres générations en matière de MDD et sont 57 % à penser qu’elles sont de qualité équivalente aux marques nationales.

Au quotidien, le passage à la retraite entraîne aussi l’augmentation des repas du midi. « C’est alors plus de 200 déjeuners par an qui sont rapatriés à domicile. Lorsque l’homme se retrouve chez lui après avoir déjeuné pendant quarante ans avec ses collègues en choisissant chaque jour son menu, le choc est rude lorsque sa femme compose les repas, plus allégés », estime Jean-Pierre Poulain, sociologue.

Si les jeunes seniors développent souvent une vie sociale effrénée, ils profitent de leur temps libre pour recevoir leurs enfants le week-end et s’occuper des petits-enfants le mercredi et pendant les vacances scolaires.

« Quand mes petites-filles sont là, je fais très attention à acheter des choses de qualité, sans conservateur ni colorant », explique Marie-Jo, 68 ans, qui vit en couple à Brest. « Quand une senior pousse un chariot, ce n’ est pas seulement pour elle et son mari. Elle achète aussi pour faire plaisir à ses petits-enfants et parfois fait les courses de ses enfants », confirme Jean-Paul Treguer. « Le repas dominical reprend de l’importance, un moment privilégié pour voir sa famille. La senior, mère ou grand-mère, a à cœur de partager des recettes traditionnelles avec sa fille et de faire plaisir à ses descendants. Le père initie ses grands enfants aux bons vins. La période adolescence et sodas est passée », poursuit l’expert des seniors.

Une alimentation relativement équilibrée

« En semaine, on déjeune d’une viande ou d’un poisson avec des légumes, suivi d’un yaourt ou d’un fruit pour moi et plutôt d’un fromage pour mon mari.

Le dîner est plus léger, composé souvent d’un potage, fait maison bien sûr. Le dimanche midi, je prépare en plus un hors-d’ œuvre et il y a un gâteau en dessert, le tout accompagné d’une bonne bouteille de vin. C’est le jour du repas en famille », raconte Marie-Jo. Attention donc à ne pas caricaturer les seniors en rigoristes adeptes de tous les régimes. Ils restent consommateurs de vins (souvent quotidiennement par habitude) et de spiritueux. « Les seniors font attention de ne pas trop boire pour des raisons de santé ; ils sont cependant moins nombreux que les 35-49 ans à déclarer vouloir diminuer leur consommation », souligne Pascale Hebel, du Credoc. Des repas pris en famille ou avec des amis, des moments conviviaux à l’heure du thé ou de l’apéritif jouent un rôle déterminant dans l’équilibre alimentaire et le maintien des rations de protéines et de calcium, indispensables. Pour Madeleine, « ce n’est pas évidant de cuisiner tous les jours quand on est seule. Quand je me fais un plat en sauce, il n’est pas aussi bon que lorsque j’en prépare pour un dimanche en famille. Quand la famille vient, je prépare en plus un horsd’œuvre et je fais un gâteau. »

« Les seniors consomment des lipides et des glucides, mais pas assez de protéines et surtout manquent d’apport suffisant en calcium », souligne Pascale Hebel. Or, chacun sait que les protéines renforcent les muscles, préviennent les fractures. De même, les produits laitiers, l’ huile d’olive et de tournesol, riches en calcium, préviennent la déminéralisation osseuse et l’ ostéoporose. Véritable aliment santé, l’huile d’olive favorise l’ absorption intestinale du calcium, du phosphore et de la vitamine D. On sait qu’elle constitue l’aliment de base du fameux régime crétois, vanté pour sa capacité à fabriquer des centenaires. « Mal vieillir n’est pas une fatalité, martèle le doc-teur Monique Fery, géronto-logue spécialiste des problèmes de nutrition. La qualité de vie des personnes âgées dépend principalement de leur état nutri-tionnel. » Des études épidémio-logiques « Monica » et « Se-neca » menées en Europe ont démontré que les plus de 70 ans qui maintiennent trois repas principaux équilibrés, plus éventuellement une collation l’aprèsmidi, augmentaient leur espérance de vie en bonne santé.

Développer les services

Les champs de développement des produits enrichis en vitamines et en calcium paraissent donc très larges tout comme celui des aliments riches en protéines. « Passé 75 ans, les courses deviennent problématiques, car se déplacer ou porter des pondéraux devient difficile. D’où l’importance de réfléchir sur la livraison à domicile », souligne Jean-Paul Treguer.

L’information sur la nutrition doit aussi être développée par tous les acteurs. « De nombreuses personnes âgées ont souffert de déshydratation pendant la canicule, car elles ne pouvaient pas sortir acheter de l’eau embouteillée et que boire de l’eau du robinet ne faisait pas partie de leurs habitudes », souligne Monique Fery. Quand on sait que la France vieillit et qu’un senior « naît » toutes les trente-sept secondes, il est temps de prendre en compte ce phénomène dans la grande consommation.

Les plus âgés ont souvent du mal à ouvrir les packagings, entendent mal les messages en magasins et ne peuvent porter sur le tapis de caisse de lourdes charges.

Les prochaines générations de seniors auront l’habitude de faire leurs courses sur Internet. Mais, entre temps, de nombreux services doivent être développés pour conserver une cible de 20 millions de consommateurs.