L’insuline et le facteur de croissance IFG-1

Pour ou contre le vieillissement ?

Grâce au ver Caenorhabdtis elegans (nématode), Cynthia Kenyon (université de Californie, San Francisco) a découvert en 1992 un gène baptisé daf-2 dont l’altération allongeait la vie du ver (extension de la jeunesse, et non prolongement de la fin de vie). En 1997, Gary Ruvkun (Ecole médicale de Harvard, Boston, Massachusetts) montra que chez le nématode, le gène daf-2 fabrique une protéine dont 25 % de sa séquence est commune avec le récepteur de l’insuline et 34 % avec le récepteur du facteur de croissance IGF-1 (Insulin-like Growth Factor-1), un formidable promoteur de la croissance cellulaire humaine.

Ces découvertes montrent que le mécanisme qui contrôle le métabolisme du sucre est très ancien. Mais elles révèlent surtout que le métabolisme, c’est-à-dire l’utilisation de l’énergie alimentaire, et le vieillissement sont intimement liés. En 1998, Gary Ruvkun a apporté une nouvelle preuve que sexualité et vieillissement sont bien liés. Les mutations du gène daf-2 augmentent la longévité des vers, mais elles réduisent aussi sa fertilité ! Clé de la longévité, l’insuline régulerait aussi la capacité reproductive !

L’insuline module le niveau d’IGF-1, l’un des facteurs de croissance qui donne aux cellules l’ordre de se diviser, proliférer, évoluer pour construire des tissus. Plus la nourriture est abondante, plus il y a d’insuline, et plus il y a d’IGF-1 disponible pour activer la croissance de l’organisme. Mais cette stratégie, si elle sert l’intérêt de l’ADN, porte en elle les germes du vieillissement du corps, comme l’a établi le biochimiste Tyler Parr (Chula Vista, Californie). Avec l’âge, les cellules répondent de moins en moins aux sollicitations de l’insuline. D’où une fabrication toujours plus grande de cette hormone pour surmonter la résistance qu’elle rencontre. Il en résulte un excès chronique qui affecte les cellules de l’hypophyse chargées de synthétiser l’hormone de croissance (GH). Cela expliquerait pourquoi les personnes âgées produisent beaucoup moins de GH que les jeunes adultes. Cette baisse affecte également le niveau d’IGF-1, qui diminue en dépit d’une élévation de l’insuline.

Si on opte pour une croissance plus lente (qui va à l’encontre de la stratégie de l’ADN), par une restriction calorique par exemple, on pourrait observer les choses suivantes. Avec moins de nourriture, moins besoin d’insuline. Le taux d’IGF-1 serait au début de la vie plus bas mais déclinerait par la suite, beaucoup moins brusquement. En vieillissant, les cellules conserveraient une grande sensibilité à l’IGF-1 circulante. Tout l’organisme bénéficierait alors des facteurs de croissance qui sont, pour les personnes âgées, associés à une meilleure santé et à une plus grande vitalité.

Vivre vieux sans se priver - du faux sucre pour tromper les gènes

George Roth et Donald Ingram (Institut national du vieillissement, Baltimore, Maryland) tentent de tromper les systèmes cellulaires sensibles à l’énergie, sans pour autant affecter l’appétit. Des rats sont alimentés avec du 2désoxyglucose (2-DG) à la place de glucose. Le 2-DG est transporté normalement aux cellules, mais son métabolisme est ensuite incomplet. Des résultats préliminaires montrent qu’un régime qui contient 0,4 % de ce sucre entraîne une diminution d’un demi degré de la température corporelle, une chute de 30 % du taux d’insuline, et une baisse de 10 % du poids, ce qui suggère un ralentissement du vieillissement. Il est donc possible de court-circuiter certains programmes cellulaires associés au vieillissement, et d’activer d’autres programmes de longue vie.

Mince avec la chronodiététique

Les études récentes ont montré qu’à calories égales, on grossit davantage en mangeant copieusement le soir plutôt que le matin ou le midi. Le Pr. Jaber Danguir, spécialiste de l’obésité à Tunis, a étudié des musulmans qui, pendant le jeûne du ramadan, ne s’alimentent que la nuit mais prennent cependant du poids. I1 a constaté qu’il ne s’agit pas d’un problème alimentaire mais de non brûlage des graisses. Les études cliniques qu’il a menées sur 160 femmes présentant une importante surcharge pondérale ont montré qu’un simple décalage de l’apport énergétique en début de journée (30 % au petit déjeuner, 50 % au déjeuner et 20 % au cours du goûter) permet une perte de poids de 15 % ! Tout aussi étonnants, des travaux montrent qu’un repas unique de 2 000 calories entraîne une perte de poids s’il est pris dans la matinée et un gain de poids s’il est pris le soir.

Des études plus anciennes avaient par ailleurs montré, qu’à calories égales, mieux valait fractionner les repas pour éviter des écarts sur la balance. Comme l’explique la chercheuse Martine Laville du Centre de recherches en nutrition de Lyon : « Plus on fractionne, moins on grossit. Deux explications à cela : quand nous mangeons, une partie des aliments est brûlée et l’autre stockée sous l’action de l’insuline. Or, moins nous mangeons de glucides au cours d’un repas, moins nous sécrétons d’insuline, et moins nous stockons de graisses. En outre, La dépense d’énergie (thermogenèse) pour assimiler plusieurs mini-repas est supérieure à celle dépensée pour un ou deux repas. Ce léger gain d’énergie, équivalent à 50 ou 100 calories par jour, peut finir au bout de quelques mois ou quelques années par se traduire par un moindre poids sur la balance ».

Régime hypocalorique supplémenté ou restriction calorique

La preuve est dorénavant faite avec les expériences de Clive McCay, de l’université de Cornell de l’état de New York, qu’un régime hypocalorique et supplémenté en vitamines et minéraux allonge la durée de vie des rats, des souris, des invertébrés, des poissons et des singe rhésus. Mais peut-on extrapoler ces résultats à l’être humain ?

Lorsque l’apport de calories de ces animaux est réduit de 30 à 40 %, ils vivent 20 à 40 % plus longtemps. Ils sont également en meilleure santé explique Bryung Pal Yu, de l’université du Texas à San Antonio, qui conduit des études de restriction calorique chez le rongeur. Les animaux ont moins de tumeurs, ils ne sont (contrairement à ce que l’on pourrait penser) pas affaiblis, mais plus actifs et plus endurants. Les deux effets négatifs connus des régimes hypocaloriques sont le ralentissement de la cicatrisation et l’amoindrissement de la tolérance au froid. Les régimes hypocaloriques chez l’animal, augmentent à la fois l’espérance de vie moyenne et la longévité maximale (durée maximale de vie de l’espèce). En d’autres mots, peut-on, en mangeant moins, rejoindre voir dépasser allègrement le record de longévité établi par Jeanne Calment à 122 ans ?

Pour le savoir, l’Institut national du vieillissement des EtatsUnis conduit depuis 1987 deux expériences de restriction calorique auprès de 250 singes rhésus, choisis parce qu’ils partagent avec l’être humain 95 % de leur ADN. Depuis douze ans, une partie des animaux reçoit la quantité de nourriture qu’ils consommaient dans des conditions normales, soit à peu près 690 kcal par jour. Les autres reçoivent une ration diminuée de 30 %, enrichie en vitamines et minéraux. Les singes rhésus vivent en moyenne 30 à 40 ans, ce qui signifie que certains d’entre eux connaissent en ce moment les premiers signes annonciateurs du vieillissement. Depuis deux ans, les équipes de Richard Weindruch (université du Wisconsin, Madison) et de Georges Roth et Donald Ingram (Centre de recherche en gérontologie, Baltimore, Maryland) n’égrènent que de bonnes nouvelles. Pour les singes CRAN (Caloric Restriction with Adequate Nutrition), la maigreur de l’ordinaire ressemble à une cure de jouvence. Pour commencer, leurs corps renferme moins de 10 % de graisses (contre 25 % pour les non CRAN). La graisse corporelle n’est d’ailleurs pas concentrée au niveau de la taille, mais répartie sur l’ensemble du corps. Les marqueurs biochimiques du risque cardio-vasculaires sont stables, dans la bonne direction. Les dernières mesures montrent qu’en dix ans, les singes CRAN ont vu leur « bon » cholestérol (HDL 2B) augmenter de 25 % et les triglycérides (facteur de risque) baisser de 20 %. D’autres marqueurs du vieillissement comme l’enzyme PAL (Phosphatase Alcaline), qui favorise la formation osseuse, ou l’hormone sulfate de DHEA restent remarquablement élevés. Alors que les taux d’insuline augmentent normalement avec l’âge, ils sont bas chez les singes CRAN. Leur métabolisme basal (c’est-à-dire le nombre de calories brûlées chaque minute au repos pour assurer les besoins vitaux de l’existence comme le pouls, la température, la digestion) s’est fortement ralenti. La température corporelle des singes CRAN est plus basse d’un demi à un degré et demi.

La restriction calorique peut être envisagée comme un défi à l’ADN qui nous a conçus et programmés pour assurer son immortalité. Manger à satiété pour parvenir le plus tôt possible à la maturité sexuelle et nous reproduire. Bien sûr cette immortalité de l’ADN, s’assure au détriment de son véhicule représenté par nos personnes. Les singes CRAN font d’ailleurs très tôt de la peine à leurs gènes : à l’adolescence, ils accusent un retard de maturité sexuelle d’un an sur leurs congénères mieux nourris.